C’est rigolo. Les jeunes ouverts à l’univers de la photo argentique passent pour des Hipsters et les plus vieux pour des ringards. Il est étonnant que les photographes dans la cinquantaine soient les plus critiques. J’ai entendu des remarques désobligeantes sur les passionnés du format 120 mm. Oui, c’est lent et coûteux. Mais claquer 2000 euros dans un hybride tous les deux ans me semble un peu dingue. Pourquoi mettre en concurrence l’argentique et le numérique ? De nos jours, cela n’a plus de sens. Il ne me viendrait pas à l’idée de comparer le fusain et la tablette graphique. Si certains voient en cette pratique un moyen de se démarquer des autres, d’autres ont compris que photographier avec du film pouvait être ludique et formateur. On ne photographie pas pour les mêmes raisons ni de la même manière avec un Lubitel et un Sony.

La photo argentique n’a plus la côte auprès des gens de mon âge. Ils ont eux aussi succombé au confort des nouvelles technologies. J’admets que la photo argentique ne convient pas à tout le monde. Outre l’impossibilité de visualiser l’image immédiatement, on peut lui reprocher la faible quantité de vues par film, le manque de souplesse au niveau des ISO et le fait de devoir passer à la caisse à chaque déclenchement. L’absence d’autofocus sur les appareils anciens rebute le photographe depuis qu’il connaît la mise au point assistée. Les autofocus sont aujourd’hui très performants même avec des sujets en mouvement. Des gens dans la cinquantaine renient complètement leur reflex de jeunesse encore fonctionnel. Je ne prends pas la défense de l’argentique. Le combat est perdu depuis longtemps. Non, je m’insurge contre ma génération qui méprise ce médium. Des boîtiers mythiques sont voués à l’oubli dans des placards et les greniers ou sont bradés sur les trottoirs. C’est dommage mais on ne peut rien y faire. De toute manière, les laboratoires de quartier ont presque tous capitulé et les films argentiques ont disparu des rayons des grands magasins. Faire développer une pellicule est devenu compliqué aujourd’hui. À Lille, je ne connais plus qu’une seule boutique valable. On y croise encore des papys et mamies venus déposer des appareils jetables à développer. Mais ce sont les moins de trente ans qui font maintenant vivre l’argentique. Des énergumènes comme moi, il n’en n’existe plus.

Les appareils photo argentiques ne jouent plus le rôle de boîte à souvenirs. Les APN et les smartphones remplissent cette mission plus facilement et plus rapidement. Il y a bien longtemps que je ne documente plus mon environnement avec un 24×36 et une Fuji Superia. Dorénavant, quand on fabrique des images avec du film, c’est dans un esprit créatif. L’argentique est devenu un outil d’expression artistique. Ce n’est pas plus mal. Les jeunes expérimentent de nouvelles formes d’art avec des appareils étranges ou exploitent les techniques anciennes. Ils sont heureux d’observer les défauts inhérents à l’argentique comme les fuites de lumière sur les boîtiers trop vieux. Ils ont raison. Les cinquante ans, eux, ont trop vite enterré le film argentique. C’est trop facile de dire qu’il faut vivre avec son temps. Il n’y a plus que la modernité qui compte et les écrans digitaux. Tout doit être parfait et propre. Je ne suis pas d’accord. On a le droit de choisir son camp et ne pas rentrer dans le moule.

Aujourd’hui, je n’ai plus envie de faire en argentique ce que l’on peut obtenir en numérique et en mieux. En ce qui me concerne, une photo argentique doit ressembler à une photo argentique telle que le grand public se la représente, avec ses défauts et ses bonnes surprises. J’aime beaucoup photographier avec le Canon EOS 5D quand il s’agit de capter des émotions sur un visage et enregistrer des faits marquants tout au long d’une cérémonie de mariage. Mais quand je veux faire travailler mon imagination, l’argentique est mon meilleur allié. Disons que le numérique m’aide à être productif et l’argentique à être créatif. Les deux outils se complètent. C’est ce que les photographes de mon âge convertis au tout numérique n’ont pas compris.

Bonjour Fred,
Je n’ai découvert votre site que tout récemment et je remonte progressivement la ligne du temps pour découvrir toutes vos publications.
Bravo et merci pour ce partage de passion et tout le travail que cela représente.
Ce billet me touche beaucoup car j’y retrouve ma propre démarche et mes sentiments vis-à-vis de l’argentique. J’ai 57 ans, j’utilise bien sûr plusieurs appareils numériques mais je n’ai pas pu abandonner le film.
Je photographie la vie familiale et de belles rencontres avec un Minolta Autocord (quelle belle optique), un Konica Hexar AF (encore un superbe objectif) et je me suis offert un Voigtländer 667 (Bessa III) neuf. J’avais envie de retrouver la visée de mes premières photos, quand j’ai débuté à 14 ans avec le Voigtländer Folding que mon oncle avait acheté en Allemagne lors de son service militaire dans les années 50, à laquelle s’ajoute maintenant un télémètre.
Voici les vacances de Noël et deux films attendent d’être développés : un 120 et un 135. Je ne scanne plus les négatifs. Je les photographie avec un bricolage maison. J’ai transformé la potence d’un vieil agrandisseur Krokus en support pour un reflex numérique équipé d’un soufflet et d’une optique pour reproduction, un Apo Rodagon D déniché sur eBay. J’ai acheté une table lumineuse à éclairage led sur Amazon et je place les négatifs dans le passe-vue du Krokus. Le résultat est super, avec beaucoup moins de poussières.
Bien cordialement,
Luc
Bonsoir Luc. Je suis ravi de vous lire. Votre équipement doit faire rêver plus d’un amateur d’argentique. J’imagine que vous avez trouvé un bon équilibre entre les deux : argentique et numérique. J’aime beaucoup le Konica Hexar. En balade, c’est une arme redoutable. Soyez le bienvenu Luc et bonnes fêtes de fin d’année.
Bonjour Luc.. Bienvenue au club des Lecteurs de Fred que je suis maintenant depuis plusieurs années.. On ne s’est jamais rencontré , je vis au Canada et lui dans les environs de Lille mais c’est bien dommage car je le feeling est là.. Fred est donc un « ami » virtuel mais surtout un excellent Professionnel et un vrai pedagogue.. Je T’encourage à suivre ses billets.. Ils sont toujours truffés de bon sens et d,amour de la photo (peu importe la forme dailleurs) Mais je crois deviner que tu n’es pas en reste de ton coté et c’est tant mieux notre petite communauté « Fredienne » ne s’en portera que mieux. J’ai été enthousiasmé par ton montage neo-scanner et je serais on ne peux plus intéréssé par un croquis de ta construction.. Si je joue assez facilement avec les mots, il n’en est pas de même avec mes facultés de bricoleur accompli (quasi inexistantes) et de pre-visualisation d’une suggestion tri-dimentionnelle surgie de l’esprit d’un doué de l’adaptation… Cela dit je suis depuis la lecture de ton billet, dans l’impatience aigue de l’ecureuil qui vient de trouver la noisette de l’année… Alors si tu as quelques instants de trop dans notre epoque agitée, je te serais reconnaissant (et sans doute d’autres avec moi) de me faire profiter de cette excellente idée..Mon HP G4050 a ses limites… D’avance Merci Luc et à bientôt sur la « Fredienne 66 » – Alain-philippe – alias AlPhilGe – Nova Scotia
Bonsoir Fred,
je viens de passer le cap des soixante ans, et retrouve le plaisir de l’argentique. Il va s »en dire, je ne délaisse pas le numérique pour ses avantages. Quel plaisir de prendre le temps et d’être imparfait… Il me reste à trouver une chambre photographique… Vos billets nous font du bien. Continuez svp. Bonnes fêtes.
Amicalement.
François.
Bonsoir François. Je suis très touché. Entre le numérique et la chambre, c’est le grand écart ! C’est encore une autre expérience de la photo. Je vous remercie pour votre soutien et vous souhaite un joyeux réveillon.
Salut Fred, ne te mouronnes pas pour la géguerre entre argentique (analogique) et numérique (digital) – c’est que le vocabulaire a aussi une signification social – qui ne profite à personne.
Le plus important dans une photo doit être le signifiant ou le signifié (comme disait je ne sais plus quel philosophe). Il faut choisir. C’est le résultat perçu qui cause, le ressenti. Il n’est jamais aussi bien perçu qu’avec de l’argentique. L’origine physico-chimique naturel doit y être pour qq chose. L’homme est toujours rattrapé par la nature…
La preuve que le numérique est un outil et rien que cela : les plus « grands » photographes avouent qu’ils ne l’utilisent que pour le commercial. C’est dire ce qu’ils pensent de la pub et du commerce… Ils se réservent l’argentique pour le contact, le ressenti. C’est un peu comme lire un journal sur Internet ou l’acheter au kiosque. La modernité, comme aurait dit Zazie : « Mon cul ! ».
Ce qui est le plus important, c’est le choix que l’on fait de faire des photos qui portent qq chose ou qui ne sont que des images mortes (aussi jolies soient elles). La photo est un outil d’action social depuis sa création. Si c’est pour faire joli sur papier glacé, je ne vois pas l’intérêt et à ce moment-là, le numérique suffit largement avec ses platitudes, son ripolinage de couleurs et comme disent les anglo-saxons, son « sharp » (tranchant, pointu) au point que j’en suis à me demander si les objectifs Leica en argentique ne sont pas trop bons (en plus d’être hors de prix) ! Finalement, l’excellence et le prix sont des choses qui vont bien ensemble : ils sont « à la mode » ! De là à dire que c’est un piège à cons, il n’y a peut-être qu’un pas…
Passes de bonnes fêtes, l’ami.
Patrice
Ah non, cette petite guerre idiote entre les deux univers argentique et numérique ne me tracasse pas la moindre du monde. Cela fait bientôt 15 ans qu’ils nous barbent avec ça. Ce que je ne comprends pas, c’est le mépris des gens qui ont connu et pratiqué l’argentique pendant des années et se déchaînent sur ceux qui préservent leur passion. A croire que ces gens veulent se rassurer de leur choix d’être passé au tout numérique. Cette catégorie de consommateur ne fait pas de la photo, c’est de l’exhibition de matériel. On affiche fièrement son matos et on essaie de justifier l’investissement lourd qu’il faut assumer.
C’est un peu ça, mais c’est aussi le prix de revient et l’offre qui est faite pour le numérique qui crée le débat. Cela dit, dans le métro de Paris, on regarde avec respect (et on me le dit parfois) le « pépé » avec son vieil appareil (Leica M4) argentique… Ah la publicité !
Bonjour
Je découvre avec plaisir ce blog. Et des belles photos prises dans ma ville natale, que j’ai physiquement quitté il y a trop longtemps mais qui est toujours dans mon cœur.
J’ai plus de 50 ans, et je fais de l’argentique.
Comme beaucoup de monde, j’ai arrêté la photo vers les 30 ans (pas le temps, le boulot etc…), pour se rechopper le virus des années plus tard. On se dit « on a le temps », le temps de refaire « un jour » de la photo. Et puis, le temps c’est maintenant, c’était hier.
J’ai essayé le numérique. Je croyais qu’il n’y avait pas d’autre choix. Une fois passé les moments de stupeur face à une certaine facilité qu’offre le numérique, j’ai trouvé les résultats lassants, le matériel ennuyeux (les touches fn, l’écran, les plans au zoom, les paramètres…et surtout des images trop nettes, trop piquées, trop…trop !). Quand j’ai enfin pigé la possibilité de combiner les deux, avec la numérisation des négatifs, je n’ai pas hésité une seconde : je voulais retrouver un boitier simple, vitesse diaph, le temps de la réflexion, de la découverte du résultat, et ne pas toujours avoir le nez collé sur un écran derrière le boitier.
Je comprends les travaux en numérique quand ceux ci sont assumés, réfléchis avec créativité…en numérique. Je ne comprends plus quand le numérique s’attache à imiter l’argentique, imiter du grain, du bokeh, du film. Un boitier numérique ou argentique est un outil pour s’éclater, faire sortir sa créativité : leurs possibilité sont exploitées en ce sens. Il y a donc de la place pour de la créativité purement numérique, avec des possibilités de post traitement, d’effets, de couleurs que seul le numérique peut offrir. Et la photo argentique est et reste encore une autre forme d’expression, sur ses propres qualités.
C’est mon avis.
J’ai trouvé un labo en ligne : dév et scanne. En parallèle, je vais faire quelques tirages dans un club photo de mon coin. J’ai le sentiment d’avoir de la chance en fait, le beurre et l’argent du beurre. Je grille du rouleau, je peux diffuser et échanger grâce aux scannes, et je papote photos autour d’un bac pour un tirage de temps en temps. Et j’ai (enfin) pu toucher à du leica ! ces boitiers étant maintenant abordables, les anciens objectifs aussi (les magnifiques summar ou summitar et le bokeh de fou, les gris atypiques, le noir charbon…). Mais surtout, surtout…la démarche, prendre un peu de temps pour sa compo, se torturer un peu avant de faire le choix du diaph retenu pour cette compo, surveiller la météo pour le choix de l’Iso : ce n’est pas facile ? tant mieux !!!
A bientôt
Bonjour Thierry.
Je suis ravi de lire votre témoignage et vous en remercie. Je ne comprends pas non plus pourquoi autant de photographes essaient d’imiter le rendu argentique à coups de logiciels. Le numérique a ses qualités propres, l’argentique possède les siennes. Il me semble que ayez trouvé une certaine sérénité entre le labo, les scans, les tirages au club photo et le Leica. Très bonne année et au plaisir de vous lire à nouveau.
Salut Fred et Patrice, je reprend le fil du blog en revenant d’un petit voyage de Noel dans les provinces plus à l’Ouest de cet immense Canada..
je réagi bien sur à ton article Fred… Non tout n’est pas perdu..!! la boite magique, l’Ilfosol, le multigrad paper et le RC Glossy ont encore de beaux jours devant eux.. j’en veux pour preuve: en ce debut 2017 je re-ouvre le labo « blackroom » de l’université Francophone de mon district, laissé à l’abandon depuis 4 ans faute de coach… Je vais m’y efforcer de rendre ce que mon ex-club photo normand m’a donné lorsque j’ai pris ma retraite: le plaisir de revenir à la pelloche abandonnée pour cause d’activités Pro en Europe.. Je n’ai pas encore alerté le campus sur cette reprise: mais j’ai deja une demande d’etudiante qui ne connait que le Digital et veux rentrer dans l’alchimie du labo… A suivre… Mais du haut de mes 70 années je pense encore que le virus est seulement en sommeil comme ces ADN de la pre-histoire qui ne demandent qu’à se reproduire comme dans Jurassic Park… Alors Fred et Patrice et tous nos autres amis argenteux.. La contagion n’est pas pour demain et heureusement car nous nous partageons egoistement un vaste territoire et laissons encore un moment la surpopulation aux excités du photoshop, lightroom et cie… Et puis entre nous soit dit, cela pourrait s’apparanter à une sorte d’aristocratie… J’voiron bande de gangs.. comme on dit en Acadie .. Alphilge NS
Bonjour Alphige. Merci pour vos bonnes paroles. C’est une bonne chose de redonner vie à un laboratoire argentique. Avec votre expérience, nul doute que pas mal de jeunes seront intéressés par le développement et le tirage fait main. C’est assez drôle de nous imaginer nous les passionnés de la pellicule comme des privilégiés. Je me doute que la photo argentique restera maintenant une niche jusqu’à sa disparition définitive mais il nous reste encore de beaux jours devant nous. pour preuve, la maison Kodak Alaris a annoncé au CES de Las Vegas le retour du film inversible Ektachrome. Une excellente nouvelle pour démarrer l’année qui je l’espère sera pleine de bonnes surprises pour vous et tous les autres lecteurs du blog Histoires de photos. Merci encore pour votre indéfectible amitié.
Salut Alphige, nous sommes de génération et devons partager pas mal d’expériences communes…
Je crois que le retour de l’argentique se fait pressant. La preuve, retour de l’Ekta et montée des prix du matériel analogique d’occasion. Certains vont même jusqu’à préconiser des objectifs moins « sharp », plus « rond » et moelleux dans leur définition. Si on ajoute la magie de l’image (anagramme) du labo dans un monde devenu sans surprise, on voit des agrandisseurs Leitz dans certains magasins !
Allez, on peut se souhaiter une bonne année !
Patrice