Tous photographes de rue

À chaque fois que je parcours un blog photo tenu par un photographe amateur que je ne connaissais pas, je tombe sur un portfolio dédié à la photographie de rue. Photographier les gens dans les espaces publiques est devenue tendance. Cette pratique s’est même fortement banalisée. Parfois, je suis agréablement surpris mais bien souvent, il n’y a rien à voir. La plupart du temps, le photographe ne cherche ni l’esthétique de la scène ni un sujet qui interpelle, ne donne aucun sens à son image et prend l’affaire comme un défi.

Je ne suis pas là pour donner des leçons car moi-même je me suis engouffré dans la brèche de la « street photography » il y a une quinzaine d’années et je n’ai pas la prétention de croire que mes photos sont au-dessus du lot. Mais je me refuse à considérer la photo de rue comme une compétition dans laquelle il faut montrer son audace au détriment des gens photographiés. Je me pose des questions quant à l’intérêt de voler l’image d’une personne dans la rue si rien n’accroche le regard. Les photos prises parfois très proches semblent nous dire :  » Regardez comment j’ai osé photographier de près ces inconnus sans me faire repérer. » 

Je pense qu’il faut non seulement respecter l’autre mais aussi prendre beaucoup de précautions par rapport au moment choisi, la distance et le contexte. Il ne faut pas prendre l’acte à la légère et imaginer les passants comme des proies. Je ne trouve pas ça loyal et pas correct, surtout quand l’instant volé est peu flatteur pour la personne visée. La photo de rue peut tout aussi bien se pratiquer à distance. Il ne faut pas nécessairement capter les traits d’un visage pour figurer dans la bible des photographes de rue. Une silhouette dans le noir ou un passant flouté par une vitesse lente est parfois tout aussi intéressant qu’un visage grimaçant ou une personne endormie sur un banc.

La photographie de rue pure n’est pas mon terrain de prédilection. Ce n’est pas dans cette discipline que je me sens le plus à mon aise même si l’idée du photographe en errance me plaît beaucoup. Certains grands photographes l’ont fait magistralement et de nouveaux talents émergent régulièrement montrant un autre aspect de la rue. Mais voilà, pour en ressortir quelque chose de potable, il faut être capable de construire un travail d’auteur sur le long terme, d’avoir une vision d’ensemble et ne pas juste vouloir faire du one shot qui épate les confrères. Et ça ce n’est pas donné à tout le monde.

Je n’ai pas envie d’être un collectionneur de têtes. Je ne suis pas un chasseur. J’éprouve davantage le besoin de photographier la rue en tant que paysage urbain avec éventuellement des passants anonymes pour remplir le décor. Pour moi, les gens ne sont pas des cibles. Je préfère encore demander la participation d’acteurs figurants que de voler l’expression en gros plan d’une victime qui n’a rien demandé. Et si jamais, j’ai envie de réaliser un portrait rapproché, je demande l’autorisation à la personne.

Le tort de beaucoup d’amateurs est de croire que l’on peut s’improviser photographe de rue juste en pointant son objectif sur le nez d’un inconnu. Ce n’est pas un jeu. Tout le monde a le droit d’exercer sa passion même dans la rue. Mais cela doit rester dans le respect et la dignité de chaque individu choisi dans le viseur.

5 commentaires sur “Tous photographes de rue

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  1. Bonjour. Tout à fait d’accord avec le fait que l’audace ne fait pas la qualité d’une photo. Certains sont devenus « célèbres » en shootant au 28 mm à bout portant, et même au flash (!). Je ne vois pas l’intérêt d’aller agresser les gens pour les surprendre à leur détriment (ce qui est répréhensible).
    S’il n’y a pas d’éléments de composition autre que la (les) gens, la photo n’a que peu d’intérêt. Sauf à faire du portrait. Il doit s’agir d’un ensemble cohérent et la lumière ou la géométrie sont aussi des choses à prendre en compte. Cordialement.
    Patrice Cotteau

  2. Je suis tout à fait d’accord avec vous !
    Le hasard (encore lui) veut que je sois justement en train de rédiger un article sur une photo que j’ai prise à Grasse.
    Vos mots très justes et mieux exprimés que les miens.

  3. Bonjour. Merci pour votre article très intéressant. J’adhère au sentiment collectif, exprimé ici, de respecter les gens dans la rue. C’est essentiel.

    En amateur de la photo de rue, j’essaye de donner un sens esthétique à mes photos de rue, de raconter une histoire cohérente entre le sujet et le cadre dans lequel il se trouve. Après je reconnais qu’il m’arrive de prendre des clichés de très près par moments pour tenter de capter une attitude faciale ou une personne atypique.

    Mais dès lors que j’estime le cliché en défaveur de la personne photographiée je ne le publie pas.
    Cordialement.

  4. Bonjour,
    Ça y est, j’ai choisi ! Je sais pourquoi je suis et comment je suis photographe.
    Je suis photographe de rue (street photographer). Encore faut-il s’entendre et respecter les catégories qu’implique le choix. Le sujet est vaste. On dépend évidemment d’une sous-catégorie. On est un élément d’une arborescence. Il y a une multitude de choix, de Depardon à Cartier-Bresson en passant par Gilden et Winogrand, Pruchon et Andersen.
    Pour en avoir fait pas mal d’autres (de photos), je sais ce que j’ai manqué et je sais pourquoi. Il m’a manqué le temps de réfléchir, le regarder, de choisir. Aujourd’hui, je n’ai plus de comptes à rendre et j’ai tout le loisir de choisir si j’appuie sur le déclencheur ou pas. On n’a le choix d’appuyer que dans les situations rares et dramatiques. Aujourd’hui donc, je me fais plaisir et je rééduque mon regard. Je vais au-delà de l’immédiat. Je laisse mûrir l’image en moi. Je m’y prépare, je la choisis, je la laisse venir. De ce fait, j’en fais peu. J’ose croire que celles que je choisis sont les bonnes, et elles ne sont pas légion. L’important : je ne suis pas/plus poursuivi par la nécessité de faire, d’avoir des obligations de résultat. Mon cerveau est libre de réagir ou pas. Je me branche sur la réalité de la rue, de la vie. Je l’observe et je la vois comme bon me semble, selon mon feeling. Il ne faut jamais être dans l’urgence.
    Il ne faut pas confondre la photo de rue avec la photo de la ou des rues qui relèvent de la carte postale. La photo de rue tient à l’analyse personnelle que vous faites mis en situation d’agora. Chaque jour amène son analyse différente, son ressenti. Laissez-vous aller ! Vous êtes l’auteur, le réalisateur, celui qui choisi, qui sent les choses.
    Raison de plus pour limiter les risques d’erreurs, de ratés. Pour cela, limiter les matériels : appareil, pellicule, objectif. Faire simple. Aussi simple qu’une photo qui vient de s’imposer à votre esprit. Se sentir en communion avec l’outil qui vous permettra d’agir. Savoir dans quel sens cela fonctionne, vitesses et diaphragmes, où est la lumière (serais-je dans l’ombre ou dans le soleil ? Verra-t-on mon ombre ? Où se trouve la diagonale qui va dynamiser ma photo ? Quel est mon premier plan, mon arrière plan ?). Connaître sa pellicule de prédilection, savoir ce que l’on peut en tirer, où, quand, comment. Rien que ce paramètre (le film) génère le style de photos qu’on aime faire, celui qui vous colle à la peau. La communion, l’osmose avec le matériel détermine le genre et fait le résultat. Ne pas se disperser.
    La rue, comme disait ma grand-mère, il faut en avoir le sirop ! Il n’est pas nécessaire d’aimer les gens (on ne vous le demande pas). Juste ne pas les mépriser. Les prendre tels quels. Choisir d’en extraire les tares, les défauts ne regarde que vous. Y voir le bonheur aussi. Faire des gens des éléments dans un décor aussi.
    Bonne chasse (car s’en est une) et bon pied !
    Salut.

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